Impressions de voyage

La moisson.

Après les pluies abondantes du printemps, que le patient paysan berbère attendait depuis quatre ans, nous sommes arrivés en pleine moisson. Des aires de battage ponctuent le paysage de leurs cercles blonds. Des petites javelles, liées à la main, constituent la première étape d'un incroyable travail qui, par accroissement successif, conduit les épis jusqu'aux meules – méticuleuses constructions où peut se mesurer la somme des efforts nécessaires pour que chaque épi arrive sur l'aire de battage.

Au centre de l'aire un piquet solide : on pourrait croire un immense cadran solaire. Et il est vrai que le temps semble mesuré par d'incessantes rondes qu'une troupe d'ânes accomplissent patiemment tout au long du jour.

Le plus petit d'entre eux, et donc le plus attendrissant, est placé le plus prêt du piquet. Il parcourt donc moins de chemin, mais c'est sans doute celui qui a le plus le tournis. Le plus grand est à la périphérie. On en aura aisément déduit qu'il parcourt le plus long chemin. En tenant compte de ces données, il est hors de question de demander, sachant que le diamètre du cercle est de 10 mètres et que les ânes sont flanc contre flanc, combien chacun a parcouru de kilomètres en fin de journée…

Les moulins

Qui dira l'ingéniosité avec laquelle le meunier berbère a conçu son moulin ? Question rhétorique pour dire que je vais essayer.

D'abord, dériver par un canal l'eau de l'oued ; calculer la pente : pas trop rapide, sinon le moulin va trop fort (célèbre chanson) ; faire arriver l'eau au-dessus de la succession en escalier des moulins ; faire tomber l'eau sans qu'elle ne se mouille trop ; diriger le courant vers les palles de la roue en visant bien. Ceci pour la partie extérieure, que le peintre officiel de l'expédition a su si bien représenter.

À l'intérieur, prévoir une ouverture qui permette à la fois d'entrer et de sortir (bien qu'une fois à l'intérieur nous ayons eu du mal à en sortir). Mettre le grain dans un sac bien au-dessus de la meule, faire en sorte qu'il descende gentiment et non en tas : à cet effet un petit bâton de bois tapote affectueusement le bas du sac qui est de forme conique. Le mouvement du bâton est transmis par la meule irrégulière sur laquelle il trotte menu, faisant un gentil cliquetis auquel le grain, sensible qu'il est, ne résiste pas. Il se laisse aller vers la meule, en farine il est transformé.

Le poète dit que c'est son destin.

En tous cas ça fait du bon pain.

Ce pain que tous les soirs nous avons vu cuire par notre muletier-boulanger…Combien de soin et de travail !

De la coupe du bois au choix d'un endroit à l'abri du vent…que de déplacements ! Pour nous c'est un moment de rassemblement autour d'une chaleur appréciée au moment où le soleil déclinant fait place à la fraîcheur. Les galettes sont cuites sur un lit de cailloux chauffés. Nous avons la primeur de quelques bouchées encore chaudes, bien agréables à une heure où la faim commence à se fait sentir. On renoue avec un passé qui, autour des rites du feu et de la cuisson, construisait tout un monde de sensations et de représentations : la pâte molle qui se gonfle et se colore, la croûte qui se forme, les odeurs qui se modifient et se diversifient…

C'est aussi l'apprentissage de la patience nécessaire pour observer la lente maturation des choses jusqu'à leur épanouissement….

Philippe

Juillet 2002